Je n’ai pas cherché la francophonie par exprès. Je suis née à Terre-Neuve, dans une famille complètement anglophone, et mes parents ont choisi de m’inscrire en immersion française tardive parce que j’avais de bonnes notes en école élémentaire. Bref, je suis tombée dans la francophonie sans comprendre la conséquence et l’influence que cette langue aurait sur ma vie une quinzaine d’années plus tard.
Pendant ma jeunesse, je n’ai jamais trop réfléchi à mon opinion sur le français. J’étais un bon élève, je suivais mes cours en français sans plainte. Ce ne fut pas avant ma dernière année de secondaire, où venait le temps de choisir un programme d’études universitaire que je me trouvais à dire « Bon.… J’aime bien mes cours de Français, peut-être que je pourrais l’étudier ». L’idée m’a frappée tellement soudainement, je ne me comprenais même pas. Quand mes proches m’ont poussé vers un autre poursuit, et je demeurais la seule à défendre l’idée de suivre le français, j’étais une adolescente naïve qui écoutait ses aînés plus sages et expérimentés. Ça va sans dire qu’après un court trimestre comme étudiante de biologie, parmi les échecs les plus colossaux de ma vie, je me suis inscrite dans le programme de Langues modernes et classiques à l’Université Saint Mary’s, où je me suis enfin plongée directement dans ma langue de cœur.
Ma chute était rapide. J’ai pris avantage de quasiment toutes les opportunités que l’université me présentait, un trimestre en France, des sessions à discuter en français avec mes profs et d’autres étudiants, pour combler le tout avec un diplôme de maîtrise en Littératures françaises. C’est à travers mes études que j’ai appris la phrase « francophone d’apprentissage », une phrase que je crois me décrit à 100%.
J’habite aujourd’hui au Nouveau-Brunswick, la seule province bilingue du Canada. Je suis enseignante d’immersion française. Ayant bouclé la boucle en quelque sort, je me trouve de l’autre côté du pupitre, espérant que j’allume chez un élève la même passion que je ressens pour le français. Mais dans ma province, la relation entre l’anglais et le français demeure très compliquée, remplie de chagrin des deux côtés depuis longtemps. Il me semble que la façon dont je suis tombée dans une vie bilingue—français le jour au travail, anglais le soir avec les amis et la famille—est devenue une représentation d’une relation linguistique idéale.
Mais parfois, je me sens un peu coupable—j’ai le meilleur des deux mondes en parlant les deux langues de ma province. Je sais que le fait que je sois bilingue est l’une des raisons principales pourquoi j’ai pu trouver une poste d’enseignement à temps plein tout de suite après avoir complété mes études, tandis que mes amis qui n’ont pas le niveau de français suffisant doivent faire de la suppléance ou se contenter de chercher un emploi dans une autre domaine. Même plusieurs parents de mes élèves me disent qu’ils ont choisi l’immersion pour leurs enfants parce qu’ils veulent qu’ils aient un avantage dans le marché du travail quand ils seront adultes. Ces parents n’ont pas tout à fait tort, mais ça reste décevant de voir une attitude aussi pragmatiste autour d’une langue et d’une culture tellement riche.
Pour moi, le français m’a ouvert plus de portes que j’aurais cru possible. Ça va sans dire qu’au niveau professionnel, parler plusieurs langues aide ces jours-ci, mais au niveau personnel je trouve que j’ai une vie énormément riche. À travers mes divers intérêts, j’ai pu rencontrer plusieurs amis francophones que je n’aurais jamais rencontré-e-s sans ma langue d’adoption. Je n’ai pas eu peur de voyager dans d’autres provinces et d’autres pays, qui m’a donné la chance de voir et vivre d’autres cultures. Je fais tout ce que je peux pour partager les nourritures, les littératures, les films que je puisse avec ma famille. C’est la moindre façon que je peux leur remercier pour tout ce que mon statut de francophone d’apprentissage me donne.
Mes parents ne l’ont pas compris quand ils ont choisi le français pour moi, et je n’ai pas compris moi-même jusqu’à ce que je sois devenue adulte. La seule déception qui me reste c’est que je ne peux pas partager l’ensemble de mon monde enrichi avec ma famille, qui demeure unilingue jusqu’à présent (malgré quelques tentatives d’apprendre les phrases essentielles). Mais cela aussi fait partie de l’apprentissage qui vient avec le vécu, et je sais que si un jour j’aurai des enfants, je ferai tout mon possible de leur fournir la belle chance que mes parents m’ont donnée, car le français a sans doute changé ma vie.